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20 septembre 2008

A la recherche de Garbo (Garbo talks)

Sainte Greta au Royaume des Fées

A peu près à mi chemin de sa carrière au cinéma, débutée avec « 12 hommes en colère » en 1957, et actuellement arrivée à « Before the evil knows you're dead » en 2007, Sidney Lumet se penche sur un petit sujet sympathique avec « Garbo talks » en 1984 (« A la recherche de Garbo », pour les amateurs de VF). Tombant par hasard sur une diffusion de la chose sur son satellite personnel, Tonton Sylvain ne pouvait bien sûr pas laisser passer l'occasion de se cultiver quelque peu. D'autant qu'il sortait d'une série de purges auteuristes qui l'avaient laissé comme un rond de flan solitaire et inutile, l'âme tire-bouchonnée et l'humeur morose. Ce n'est pas que Lumet soit inscrit en lettres d'or dans son panthéon personnel, d'autres ont déjà pris cette place, mais un réalisateur qui a su pondre « 12 hommes en colère » à son premier essai sur grand écran ne peut être foncièrement mauvais. Et quand le sujet n'est pas une nième version de « Plongée au cœur de la sinistrose », ça sent l'oxygène à plein nez. Alors pensez donc ! Tonton pouvait-il rester de marbre à cette perspective ? Que nenni ! Alors, de quoi qu'il en retourne ?

Affiche USA (trouvelefilm.com)

Gilbert Rolfe (Ron Silver) est affublé d'une mère, Estelle (Anne Bancroft), et d'une épouse, Lisa (Carrie Fisher). Il travaille comme grouillot effacé dans un bureau en forme de placard sous le joug d'un supérieur tyrannique, au côté d'une collègue, Jane Mortimer (Catherine Hicks), à qui ce gagne-pain permet de payer ses cours de théâtre. Estelle est divorcée depuis longtemps de Walter (Steven Hill), le père de Gilbert. Elle est de ce genre de femme enthousiaste, toujours prête à enfourcher un cheval de bataille pour toute cause qu'elle croise dès lors qu'elle y décèle un irrespect ou une injustice. Ce caractère entier lui vaut à la fois l'admiration de tous ceux qu'elle croise et l'éloignement de ses proches dont elle rend la vie impossible. Les choses vont ainsi jusqu'à ce qu'on lui découvre une tumeur cérébrale qui lui vaut une hospitalisation au long cours pour une radiothérapie de la dernière chance dont chacun sait bien qu'elle n'a aucune chance d'empêcher une fin prochaine. Se cherchant un dernier but dans la vie, Estelle exprime le souhait de rencontrer Greta Garbo, et Gilbert se met en devoir de réaliser ce souhait. S'en suit une quête à rebondissements dans laquelle Gilbert sacrifie son travail et son mariage, mais se forge également un nouveau caractère, pour y gagner, outre l'accomplissement du vœu maternel, une nouvelle dignité.

Avec un sujet comme ça, on n'est évidemment pas devant un film à portée profondément politico-sociale à la « 12 hommes en colère » ou à la « Serpico ». On est plutôt dans une histoire de choix de vie, de caractère, de développement personnel. De plus, le ton de comédie fait résonner des cordes permettant de franchir sans trop d'encombre les passages les plus affectivement émouvants qui auraient pu entraver la marche. On s'achemine enfin vers une happy end presque souriante malgré la mort d'Estelle qui apparaît bien plus comme une transmission de flambeau que comme un échec larmoyant. Chaque étape de la quête se présente non pas comme une accumulation d'épreuves, mais plutôt comme une marche supplémentaire franchie par Gibert dans l'escalier le conduisant aux étages de l'estime de soi, de la maîtrise de ses propres choix, de la sérénité.

Evidemment, dans ce parti pris du traitement, les amateurs de crédibilité et de complexité de l'âme humaine resteront sur leur faim. Peu de violence, peu de rebuffade dès lors que les choses sont dites et que les bonnes intentions sont clairement exprimées. L'énergie d'Estelle est communicative et force l'admiration de chacun qui est soit tenté de l'imiter à sa mesure soit à même d'accepter honnêtement ses insuffisances tout en lui conservant son estime et son affection. Deux ouvriers sifflant une jolie fille passant devant leur chantier sont vertement rabroués par Estelle et s'en excusent humblement. Walter explique à son fils à quel point il aimait son épouse mais que, si elle lui apportait rire et vigueur, il ne pouvait trouver auprès d'elle la tranquillité dont il avait besoin. Gilbert déballe ses quatre vérités à son chef de bureau et annonce sa démission sans autre réaction qu'un sourire étonné et presque admiratif. Expliquant en quelques mots les motifs de sa quête, Gilbert se voit sans trop de difficulté épaulé par Angelo Dokakis (Howard Da Silva), un vieux paparazzi, ou Bernie Whitlock (Harvey Fierstein), un passager de ferry inconnu. Jusqu'à Garbo (Betty Comden) qui cède à ses arguments en quelques minutes.

Car la question n'est effectivement pas à la crédibilité. Elle est à l'enthousiasme. Elle est même à une forme d'aveuglement. Pas un aveuglement qui empêche de voir la réalité. Bien au contraire, les misères du monde, même les plus ténues, sont immédiatement repérées par une Estelle dont le regard se fixe au débotté sur la moindre injustice. Non, il s'agit d'un aveuglement sur l'avenir, la conviction forcenée que rien n'est impossible à faire bouger, qu'il y a toujours quelque chose à faire pour que la vie soit meilleure et prenne du sens. En l'aide soignante portoricaine (Antonia Rey) qui s'occupe d'elle et lui dit ses efforts pour accepter ses conditions de vie matérielles, elle implante le germe de la revendication pour de meilleurs salaires. Au même instant où elle réclame de connaître le pronostic de son mal et où elle avoue n'avoir jamais cru en l'immortalité mais avoir toujours pensé que cette limite ne la concernait pas, elle fixe la barre de ses objectifs à une hauteur inattendue : rencontrer Garbo. Et ce faisant, de son lit d'hôpital où elle ne dispose plus que de la force de son désir, elle diffuse comme une contagion cette attitude autour d'elle, comme un témoin de révolte qu'elle transmet, elle qui se battait pour les autres et qui somme désormais et sans le dire les autres de lutter à leur tour pour une cause plus grande qu'eux.

Pas de mystère ainsi si les germes de cette contagion prennent place entre les murs d'une chambre d'hôpital. Pas de mystère si Garbo, étoile inaccessible et aveuglante, dont seule l'ombre portée au travers de ses différents rôles à l'écran a accompagné chaque étape de la vie d'Estelle - elle-même Stella-Etoile-Star inaccessible au commun des mortels du haut de son firmament de volonté -, n'apparaît jamais que de dos et vêtue de son héraldique manteau en poil de chameau, image impossible à capturer comme il paraissait impossible autrefois de capturer l'image de Jésus autrement que par sa silhouette ou par un gros plan sur son regard. C'est bien de cela qu'il est question, loin de toute crédibilité prosaïque, mais de la rencontre de deux étoiles, l'une de l'ordre de l'inspiration mythique, l'autre de l'ordre de sa mise en œuvre dans un monde qu'il devient possible d'orienter vers un idéal. Et la nature de cet idéal n'a aucune importance ; seule sa potentialité est porteuse de sens.

Et quand le mot Fin s'inscrivit sur l'écran, Tonton Sylvain se prit un cognac, une aspirine, et partit se coucher, le cœur léger et la tête en vrille, en priant Sainte Greta de lui ouvrir la porte du Royaume des Fées.

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